Alain
Kuzniak
prénom.nom@univ-paris-diderot
Laurent
Vivier
prénom.nom@univ-paris-diderot
Elizabeth Montoya
elizabeth.montoya@pucv.cl
PROBLEMATIQUE
Les débuts de l’enseignement de l’analyse
Les recherches en didactique des mathématiques se sont
majoritairement préoccupées des notions élémentaires qui
sont introduites dans la scolarité obligatoire (nombres entiers,
décimaux, fractions, algèbre, géométrie). Néanmoins, bien qu'elle
n'apparaisse que tardivement dans le curriculum, l'analyse et son
enseignement ont retenu l’attention des chercheurs. L’analyse est,
en effet, un domaine tout à fait nouveau à la fin du lycée, mais
elle peut être cependant vue comme l’aboutissement d’un long projet
d’enseignement qui s'appuie sur la proportionnalité, les graphiques,
les équations de droite, les notions de pente, de tangente pour
aboutir à la dérivation ou encore le passage des grandeurs à
l’intégration.
Si l’analyse peut être considérée comme un champ mathématique à part
entière, il est difficile de le concevoir comme un domaine autonome
tant les liens avec les autres domaines sont importants et les
connaissances anciennes y sont nécessaires. Dans chaque pays,
l’analyse et plus particulièrement l’étude des limites et des
fonctions sont des questions complexes quant à l’apprentissage
(Artigue, 1998) et, en même temps, elles constituent des thématiques
centrales et transversales dans les programmes d’étude du lycée et
de l’université. En France, l’accent est mis sur la résolution de
problèmes car les procédures et notions algébriques et numériques
deviennent inadéquates pour modéliser et traiter des situations
internes aux mathématiques aussi bien qu’externes (physique, chimie,
biologie, économie,…). Les élèves de lycée auront, pour une partie
non négligeable d’entre eux, besoin de cette approche de l’analyse
que ce soit dans leurs études universitaires ou dans leurs futures
professions.
Cependant, ce qui est travaillé au lycée est en quelque sorte une
analyse dont on aurait enlevé les fondements pour ne conserver que
les méthodes : dériver ne devient qu’une suite d’opérations
algébriques algorithmisées et calculer une limite revient bien
souvent à utiliser ce qui est nommé « l’algèbre des limites ». C’est
ce que les anglo-saxons appellent « calculus ». Or au Chili, au
niveau de la transposition de ces savoirs, il a été montré
les genèses mises en place ne sont pas appropriées et que
l’algèbre opératoire domine l’enseignement. Au niveau de
l'analyse, nous pensons également qu'il existe une déficience dans
les diverses genèses convoquées dans ce domaine, et ce
point constituera une des hypothèses principales de notre approche.
Bien entendu, ces procédures algébrisées sont utiles et nécessaires
pour traiter des problèmes et cela pourrait suffire pour bon nombre
de professions. Mais qu’en est-il du sens ? Quelle conceptualisation
pouvons-nous espérer pour les élèves ? Un élève à qui on demande de
calculer une limite peut utiliser les procédures algébriques pour
effectuer cette tâche mais sera-t-il capable, seul, de mobiliser la
notion de limite pour résoudre un problème ? Sera-t-il capable
d’adapter ses connaissances ? On peut penser que l’utilisation
d’algorithmes algébriques n’est pas suffisante pour lui permettre de
résoudre ce type de problèmes qui nécessite un travail spécifique à
l'analyse.
Ainsi, nous plaçons-nous dans une perspective d’une prise en compte
dans l’enseignement au lycée des principes de l’analyse et, en
premier lieu, celui de la dialectique local/global. De fait, au
lycée, cette dialectique local/global n’apparaît pas – ou très peu –
et le point de vue local lui-même est peu visible. La question du
passage du discret au continu est également à prendre en
considération, notamment parce qu’il est souvent au cœur des
questions de modélisation.
La formation des enseignants de mathématiques
Au Chili comme en France, les enseignants de lycée sont formés à
l’université où ils acquièrent, entre autres, des notions
d’analyse qu’il s’agit de re-contextualiser dans l’enseignement au
lycée. De leur côté, les enseignants de mathématiques ont eu une
formation universitaire à l’analyse, et pas seulement au calculus.
Cette formation est-elle suffisante pour qu’ils puissent intégrer
dans leurs enseignements des éléments d’analyse dans un curriculum
essentiellement axé sur le calculus? L’enjeu
d’enseignement n’est ainsi pas uniquement guidé par la
conceptualisation (cf. ci-dessus) et cela pose plus largement la
question de la transposition des savoirs à enseigner.
Et ceci, d'autant plus que les programmes actuels ne facilitent
pas ce travail de transposition. Par exemple en France, les
programmes de Terminale scientifique consacrés à la notion de
limite de fonctions, précisent que « Le travail réalisé sur les
suites est étendu aux fonctions, sans formalisation excessive ».
Au Chili comme en France, des sujets liés à l'analyse sont traités
dans le secondaire. Mais ces liens ne sons pas exploités à
l'université et le travail sur l'analyse est effectué sans
mobiliser ces connaissances anciennes. Ainsi les professeurs
acquièrent-ils à l'université les notions de l'analyse qu'ils
devront recontextualiser au lycée avec une transposition qui sera
largement à leur charge.
Paradoxalement, cet enseignement où il n’est pas question de
formaliser la notion de limite, suppose de la part du professeur
une grande maîtrise conceptuelle et épistémologique du champ
mathématique enseigné. Il doit en effet appuyer son enseignement
sur un discours explicatif des mathématiques en jeu mais sans
pouvoir recourir au langage mathématique formalisé qu'il a appris
à l'université. Ce discours, que l’on qualifie de
méta-mathématique, pourra s'appuyer sur des changements de cadres
et de registres pour favoriser les apprentissages. Mais cela
demande vraisemblablement des connaissances mathématiques et
didactiques importantes et assurées afin de pouvoir organiser et
contrôler un tel discours. Ainsi, c’est la formation
professionnelle des enseignants de mathématiques qui est en jeu,
qu’elle soit initiale ou continue. Cela nous a conduit à mettre au
cœur de notre projet, les questions centrales suivantes :
Ces questions sont évidemment à considérer en lien avec les contextes institutionnels. Au Chili, divers rapports comme celui de l’OCDE (2003), au niveau international, et SIMCE (2003, 2007, 2009), au niveau national, signalent l’importance de la formation initiale des professeurs de mathématiques ; d’un autre côté, les institutions ressentiront la pression imminente qu’exerceront les évaluations INICIA en formation des enseignants. En France, les derniers changements organisationnels pour le recrutement des enseignants et les effets que ceux-ci auront dans l’enseignement des mathématiques ont été sous-estimés.